Moi, Capitaine

Cette fin d’année 2023 est marquée par un contexte géopolitique houleux et entre autres d’une crise sociétale déchirant la France à la suite de l’adoption par le Sénat du projet de loi n°1855 concernant le durcissement du contrôle pour l’immigration.

Dans ce contexte sensible, le timing ne saurait être meilleur (ou pire) pour la sortie éclatante de “Moi, capitaine”, le nouveau long métrage de Matteo Garrone, réalisateur italien de Dogman et Gomorra notamment.

Sorti le 3 janvier 2024 en France, ce film a déjà reçu le lion d’argent pour la meilleure réalisation à la Mostra de Venise en 2023.

C’est après une visite au Centre d’Accueil de mineurs de Catane en Italie où il fait la rencontre de nombreux jeunes gens à l’histoire migratoire récente et douloureuse, que Matteo Garrone est saisi par la nécessité de créer un film sur ce sujet.

Il veut par ce biais faire entendre les voix qu’il a lui-même entendu, apporter au monde un récit brut et authentique qui contraste avec le contenu déshumanisant et factuel qu’offrent les médias.

Dans sa quête d’authenticité, Matteo Garrone adopte une méthode de réalisation peu commune.

Pour être au plus proche de la réalité et d’une narration légitime de ces récits, le réalisateur décide de mettre ses moyens techniques et son savoir faire à l’entier service de ces jeunes migrants et de leur vécu.

Pour se faire, les membres de l’équipe volontaire et choisie avec soin qui participent à ce projet, sont à la fois acteurs et réalisateurs.

Ce film raconte l’histoire de Seydou (joué par Seydou Sarr et récompensé par le prix du meilleur espoir masculin à la Mostra de Venise), un jeune sénégalais de seize ans qui décide de prendre le commandement de sa vie et quitte le Sénégal, où sa passion pour la musique n’a pas d’avenir.

Il voudrait rejoindre l’Europe, la Terre des promesses et des rêves qui se réalisent.

Avec son cousin Moussa, joué par Moustapha Fall, ils s’engagent dans une odyssée tumultueuse et dangereuse qui changera à jamais leur perception du monde.

Du Sénégal à la Sicile, en passant par le Mali, la terrible traversée du Sahara et la cruelle Libye, Seydou et Moussa basculent d’épreuve en épreuve, se portant l’un l’autre à bout de bras avec toute l’endurance, l’amour et l’espoir que l’objectif d’une vie meilleure leur fournit.

Les spectateurs accompagnent les deux garçons chronologiquement dans leur phase de préparation du voyage, accompagnée de son lot de doutes et d’appréhensions et tout au long du périple tragique, déchirant, où la solidarité et l’humanité sont le dernier rempart avant l’abandon et la mort.

Les illusions des deux jeunes sénégalais se heurtent violemment à la déshumanisation totale des guides dans leurs différentes étapes.

Si le fond est dur et tragique, la forme adoptée par Matteo Garrone est sans défaut : la dynamique filmique est bien calibrée, les plans n’étant ni trop longs ni trop courts, permettant ainsi aux spectateurs de ressentir les émotions des différentes scènes sans faire un étalage gratuit et spectaculaire de la violence et de la torture.

De plus, les couleurs vives présentes dans chaque plan sont sublimes mais comme voilées pour que l’on puisse se concentrer essentiellement sur le déroulé du film, où chaque scène a son importance.

Elles s’accordent à merveille avec la pureté des paysages.

En bref, ce film est un autre coup de maître de Matteo Garrone qui, fait briller par cette réalisation partagée, une parole riche d’histoire et authentique qui frappe avec force et justesse les spectateurs et remue profondément les consciences.

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