
Delphine Deloget, réalisatrice et documentariste plusieurs fois lauréate, fait apparaitre en ce grand jour de novembre 2023, son premier long métrage « Rodéo », rebaptisé « Rien à perdre ».
Ce drame d’une réalité sociale poignante, retrace le combat de Sylvie, incarnée par Virginie Effira pour récupérer Sofiane, son fils, placé par l’Aide Sociale à l’Enfance pour soupçon de maltraitance infantile.
Entourée de ses frères et de son fils aîné, Sylvie se débat frénétiquement contre les tentacules du système judiciaire et fait de ce combat le leitmotiv de sa vie.
Le spectateur assiste alors à la lente descente aux enfers de cette famille délurée, composée de bric et de broc.
Porté par une dynamique filmique au rythme saccadé et aux plans haletants, souffle court et cou tendu, il est balloté d’émotion en émotion.
Tout au long du film, le spectateur est tiraillé entre la raison de cet évènement, résultat du train de vie chaotique de Sylvie et de cet arrachement, où l’amour familial n’a plus la place centrale.
Delphine Deloget approche avec habileté et dextérité ce sujet sensible en floutant la tranchée entre bon et mauvais.
Cette binarité est questionnée tout au long du film grâce à l’éventail de ressentis des différentes parties, projetés sur le spectateur.
D’un coté, la détresse réelle des organismes sociaux en manque de moyens, d’outils et de personnel. Dotés des meilleures intentions, ils sont étiquetés du motif honorable d’aider les enfants envers et contre tout.
C’est une étiquette qui semble pourtant bien lourde à porter.
On ne peut s’empêcher de remarquer la maladresse grossière de certains échanges, complètement dénué d’empathie, vis à vis de Sylvie et sa famille.
La froideur du système judiciaire et de ses décisions implacables et irréversibles est également soulignée.
Le fil rouge du film l’explique à demi mot comme une conséquence à la cruauté, le manque de confiance et la violence auxquels les travailleurs sociaux sont confrontés individuellement dans leur travail quotidien.
De l’autre côté, nous avons Sylvie, une rebelle qui crée hors des cadres.
Aimante, sensible, décidée, protectrice, impulsive, désespérée, humaine… elle ne laisse rien au hasard.
Elle revient sans arrêt avec une nouvelle initiative pour récupérer son fils mais ses tentatives se heurtent inlassablement à un système procédurier et froid, sans faille.
Paradoxalement, Sylvie qui puise la force de son caractère dans ses combats, perd peu à peu ses plumes dans cette bataille où elle est toujours trop et en même temps jamais assez.
Et enfin entre les deux parties, il y a les sables mouvants.
Cette image très juste, évoquée d’ailleurs dans le film, exprime la complexité du choix entre la lutte et l’abandon. Dans ce duel dangereux, chaque mouvement est précis, doté d’un but et peut avoir des conséquences désastreuses.
Et dans chacune des scènes, la question centrale du film résonne : Qui est à même de prendre la meilleure décision concernant l’avenir d’un enfant ?
Finalement, des velléités de réponses sont apportées mais le choix reste suspendu car le but de Delphine Deloget n’est pas de prendre position mais bel et bien de mettre en lumière les différents points de vue qui articule ce drame.
Le jeu impressionnant de Virginie Effira et les vérités fracassantes abordées dans cette œuvre emportent le spectateur dans un voyage tout en soubresauts émus et graves, qui relativise constamment les perspectives les plus assurées.
